À l'occasion de la sortie de The legend of Zelda : Tears of the Kingdom, interrogeons la stratégie japonaise de rayonnement.
Un outil de soft power fondamental
En France, le marché du jeu vidéo représentait en 2021 près de 6 milliards d'euro et plus de 37 millions d'utilisateurs. Dans le monde, c'est plus de 3 milliards dans le pour un marché de 184 milliards de dollars. Le medium reste cependant uniquement perçu par les pouvoirs politiques comme un divertissement voir un problème de santé publique.
L'évolution du médium a pourtant été fulgurant. Le jeu de plateau numérique est devenu un support d'art qui n'est plus l'enfant terrible du cinéma. Mieux encore : le jeu vidéo est un format d'art qui implique l'utilisateur pendant de nombreux jours. Cet investissement de longue durée du joueur dans un univers est une opportunité de le sensibiliser à un motif culturel.
Sur le marché mondial, comme pour l'industrie du cinéma (et le divertissemet en général), la stratégie des firmes de production vidéoludiques est de s'adapter aux profils et aux codes des consommateurs des marchés à conquérir plutôt que de proposer un regard neuf.
Nintendo, entreprise mondiale, esprit artisanal
Nintendo est, avec Sony et Microsoft, l'une des firmes de production essentielles du secteur. Spécialisée dans le jeu vidéo familiale, la marque nippone a une influence décisive chez nos jeunes qui découvrent souvent le jeu vidéo avec leurs licences comme Super Mario ou The Legend of Zelda.
Ces deux géants ont marqué des générations entières et successives grâce à des titres devenus instantanément des classiques du genre. Les deux univers, à quelques exceptions, restent inspirés des cultures iconographiques occidentales. Pour The Legend of Zelda, les références arthuriennes sont pléthores tout au long de ses aventures médiévales.
Du côté des jeux Mario, héros et plombier new-yorkais,les inspirations sont également souvent issues du genre féérique et des cadres de vie occidentaux.
Nintendo fait progresser depuis quelques années maintenant l'intégration de la culture nippone au sein de sa production, en changeant de nombreux codes de ses propres créations. Sa communication est passée de l'utilisation régulière de l'anglais (ou de la langue régionale) au japonais sous-titré. Les sources d'inspiration, les réorchestrations des thèmes musicaux, les hommages à d'autres œuvres, les lieux, mécanismes et temporalité d'action semblent tous prendre le chemin d'une japonisation des titres de Nintendo.
Les dernières productions internationales (Splatoon, Zelda: Breath of the Wild et Tears of the Kingdom, Super Mario Odyssey, Paper Mario: The Origami King...) sont démonstratives de cette volonté de réinstaurer le Japon et l'Asie comme première référence des développeurs. Comme avec les mangas ou les films d'animation des studios Ghibli, ces jeux contribuent grandement à créer des fantasmes chez les jeunes adolescents d'un idéal japonais folklorique.
Cette transformation marque un changement de philosophie important : il ne s'agit plus seulement pour le Japon d'être présent économiquement sur la scène mondiale, mais que ses firmes internationales servent à mettre en avant l'identité nippone. Cette transition s'intègre dans une stratégie de rayonnement sur laquelle les Américains avaient jusqu'à peu le monopole. Nintendo nous appelle à réfléchir aux politiques à mener envers les entreprises françaises du secteur.
Ubisoft, notre Nintendo à nous
La France n'est pas simplement consommatrice de jeux vidéo, elle est aussi productrice. Nous avons sur le territoire de nombreuses compagnies du secteur. Ubisoft, entreprise bretonne, est en chef de file. De nombreuses licences iconiques mondiales en sont issues comme Assassin's Creed, Far Cry, Watch Dogs ou Just Dance.
Ubisoft suit le chemin inverse de Nintendo : les titres qui s'intégraient aux héritages folkloriques français et européen, comme la série de jeux Rayman, ont disparu des catalogues. Les titres de ces dernières années sont les jumeaux des concurrents américains. Les oeuvres perdent leur contexte national pour espérer (re)conquérir des marchés étrangers.
Pouvoir distribuer ses productions à l'étranger est l'occasion pour nos entreprises de défendre nos couleurs. Plutôt que d'ouvrir aux joueurs du monde entier les atouts de la France et de l'Europe, nous nous retrouvons à focaliser notre force de création pour contribuer au rayonnement des civilisations des autres pour des intérêts économiques individuels de court terme.
La mise en avant de notre culture est aussi la possibilité de créer de la demande concernant notre patrimoine (lieux touristiques, gastronomie, langue, autres produits culturels...). Comme Nintendo, Ubisoft a réussi à implanter au niveau mondial des marques qualitatives réputées. Réorienter la direction artistique de ses jeux serait un moyen de faire un bon usage de l'aura obtenue. La réorientation serait aussi l'occasion de se réinventer alors que l'entreprise connaît des résultats jugés décevants. À l'inverse, la réussite des nouveaux jeux Nintendo est phénomènale (22 millions de vente pour le dernier opus de la série Zelda !).
Le jeu vidéo est désormais un art complet. S'il pose des défis de santé publique, il est une arme culturelle majeure envers les nouvelles générations pour faire rayonner la France et garantir la conservation de notre identité par nos propres jeunes citoyens. Si nous n'agissons pas envers eux, nous prenons le risque qu'ils n'aient plus l'envie de transmettre notre héritage au profit de l'implantion de cultures étrangères américaines ou asiatiques.